- documentation(s) textuelle(s)
- "Lorsqu'en 1873, Paul Bins de Saint-Victor, inspecteur des Beaux-Arts, vint visiter l'atelier de Marcellin afin de voir parmi les oeuvres achetées celles qui pourraient être acquises par l'Etat, il remarqua cette statue. Son rapport, daté du 20 janvier 1873, est même élogieux à son égard. Après avoir déconseillé l'achat de la reproduction en bronze du groupe de Cypris allaitant l'Amour (cat. 19f) que lui montra d'abord Marcellin, il enchaîna aussitôt : "mon choix s'est porté sur le second ouvrage terminé, resté dans l'atelier de M. Marcellin. C'est une figure en marbre intitulée, Mignonne et inspirée par les délicieuses stances de Ronsard : Mignonne allons voir si la rose... Ce n'est guère qu'une statuette agrandie, dans le gout (sic) du seizième siècle français, jolie plutôt que belle ; mais d'une délicate et séduisante élégance. La jeune fille penche sa tête, avec une mélancolie rêveuse, vers les roses du matin que le souffle du soir a déjà flétries. Sa main distraite, mollement relevée, caresse une tresse pendante de sa chevelure ; ses formes juvéniles ondulent sous une draperie transparente et souple qui s'arrête à une gorge nue. On dirait vraiment une petite soeur des grâces de Germain Pilon". Il conclua [sic] ainsi à l'achat de cette statue après avoir insisté sur le fait que Marcellin était "très digne d'être encouragé par l'Etat". Il ajoutait à l'appui : "On se rappelle sa Bacchante en marche vers le mont Cithéron, son Eloquence, sa jeune fille tressant des fleurs, et d'autres figures non moins remarquables". Un mois plus tard, un projet d'arrêté, daté du 17 février, est établi en vue de l'acquisition de ce marbre sous la forme d'une commande. Mais celui-ci, comme sa mise au propre, qui, elle, n'est pas datée, ne comporte pas la somme, un espace est laissé libre. Comme il n'y eut pas de suite, le 16 août 1873, C. Mazeau, député de la Côte-d'Or, ami de Jean Marcellin, intervint auprès du directeur des Beaux-Arts, afin que l'acquisition devienne effective. Il indique dans sa lettre que le prix convenu avait été de 5000 F. Le directeur lui répondit le 18 novembre 1873 qu'effectivement l'Administration avait le projet d'acheter cette oeuvre, mais que la situation des crédits l'avait forcé d'ajourner cette acquisition. Il terminait ainsi sa lettre : "Dès que le budget de 1874 sera voté, je m'empresserai de soumettre à la signature de M. le Ministre l'arrêté qui doit confirmer la promesse faite à Marcellin". Celle-ci ne fut pas tenue. Alors qu'il fut séduit, cela est certain, par cette oeuvre, Paul de Saint-Victor était de ceux qui trouvaient les figures de Marcellin jolies plutôt que belles, appréciation qu'avait fort justement, à notre avis, relativisée Edmond About en 1866, précisément à propos de Mignonne. Paul de Saint-Victor, pour sa part, insista même dans ce sens à la fin de son rapport du 20 janvier 1873, tout en reconnaissant que les oeuvres de Marcellin n'étaient pas dénuées de qualités : "Le défaut de M. Marcellin est une certaine tendance à maniérer le style de la Renaissance, qui n'est pas déjà très simple par lui-même. Il fait joli plutôt que beau, il recherche le sentiment mièvre et les gentillesses de l'exécution. Mais il met aussi bien de la grâce dans ces motifs ingénieux et il les traite avec beaucoup de charme et d'esprit". Nous serions tentés, quant à nous, à l'encontre des griefs que souleva Paul de Saint-Victor, de reprendre à notre compte les réflexions que cette statue avait inspirées à Edmond About. S'il arriva en effet à Marcellin de "maniérer le style de la Renaissance", de faire en quelque sorte de la surenchère stylistique, mais pas tant que certains auraient voulu le faire croire de son temps nous semble-t-il, nous ne trouvons rien de cela ici, car tout y sert son propos avec une justesse, une science et une retenue remarquable. La "Mignardise" dont avait peur Emile Chatrousse au sujet de Cypris allaitant l'Amour (cat. 19b) n'a pu que rôder à nouveau autour de Mignonne. L'ode des Amours de Cassandre est traduite avec une grande sobriété. Point d'afféterie redondante, point d'artifices, point de roses même. Le velouté du marbre finement travaillé n'égale-t-il pas celui de la fleur ? Le drapé aux ondulations ingénieuses et tendres n'est-il pas comme l'écrin soyeux d'une corolle ? Tout le talent de Marcellin, et paradoxalement sa force, s'exprime dans cette figure ondoyante et souple. Le travail délicat du marbre, comme caressé, laisse à peine soupçonner la dureté de la pierre et le labeur de la taille, tandis que le jeu des ombres, modulé avec une grande sensibilité, réchauffe et anime doucement la froideur du marbre. L'attitude réservée et calme, la simplicité générale des lignes que vient à peine troubler le froissement de la draperie là où la retient une main aux doigts légèrement contractés, marquent avec quelle maîtrise dans l'expression Marcellin a su traduire la délicatesse et le raffinement des vers de Ronsard. Figure rêveuse, nimbée de mystère, Mignonne a la fraîcheur d'un madrigal renaissant." - Gérard BRES, Jean Esprit Marcellin, 1992 - p. 203-205
- bibliographie(s)
- Dictionnaire des Sculpteurs de l'école française au dix-neuvième - LAMI , Stanislas